Une vie de mortel pour affûter mes crocs (131-162)
Je suis né Victorius Villecius en l’an 131 après Jésus-Christ. Vous ne me croyez pas ? Allons, installez-vous confortablement et laissez-moi vous compter mon Histoire. Avec un grand H en effet puisque j’ai près de deux millénaires. Comment ai-je réussi cela ? Rien de plus simple vu ma nature réelle. Je suis un VAMPIRE. Vous avez peur maintenant ? Voilà qui est parfait ! Déjà que j’estime que c’est une perte de temps de vous instruire sur mon illustre personne, autant que je puisse le faire dans les meilleures conditions possibles. Ah oui, j’aurais sans nul doute soif durant mon récit. Certains d’entre vous n’en connaîtront donc jamais la fin.
À cette époque, Rome était le centre du monde, tenue d’une main de fer par Hadrien. Du moins pour ceux qui appréciaient la paix à l’époque. Ma famille n’était pas riche, sans pour autant être pauvre non plus. Elle se trouvait dans la moyenne de la majorité des familles romaines. De toute la fratrie, j’étais le plus résistant, le plus accroché à la vie si vous préférez. Rares sont ceux sortis de la matrice de cette garce qui m’a mis au monde à avoir survécu. Le plus cruel, à cette époque, fut pour moi d’être baptisé. Chrétien dans un monde qui honorait une multitude de dieux ! Une autre erreur de mes géniteurs qui n’en étaient visiblement pas à leur première.
Mais, c’est bien cette erreur-là qui fut à l’origine de leur chute. Chrétiens dans un monde païen, il fallait vraiment être dénué de toute intelligence pour se vanter d’une telle chose. Un matin, la milice vint arrêter mon père sous mes yeux. Nous allions le visiter à la prison régulièrement. Je découvris un monde cruel, immonde, où les hommes côtoyaient les rats et autres insectes répugnants. Pour y parvenir, il fallut puiser dans les économies familiales. La corruption battait son plein à cette époque. Seulement voilà, toutes les bonnes choses ont une fin. Une nuit, je fus réveillé par les cris de ma mère. Je me précipitais dans sa chambre pour la découvrir en compagnie d’un homme. Je n’ai jamais oublié cette scène. Je l’entends encore hurler comme une truie, les mamelles pendantes tandis que le sodomite la besognait sans ménagement. La fortune dilapidée, cette garce n’avait rien trouvé de mieux que de faire le plus vieux métier du monde. Lorsqu’elle vient me rejoindre plus tard, en pleurs, pour m’expliquer comment elle en était arrivée à cela, je ne lui offrais qu’un profond mépris. Sa chute ne faisait que commencer.
Mon père fut crucifié quelques semaines après son arrestation. Durant les trois jours que durèrent son agonie, ma mère m’obligea à demeurer à ses côtés. Elle avait beau jouer les mères parfaites, les épouses désespérées, je ne lui offrais plus la moindre attention. Suite à cet épisode douloureux dans la vie d’un enfant, l’ensemble de nos biens fut saisi, dilapidé, offert à d’autres plus méritants aussi. Pour ma part, je me retrouvais esclave d’une famille aisée. La découverte de ce monde fut rude. J’en voulais à la terre entière. Dans mon malheur, j’eus quand même la chance de tomber dans une famille qui connaissait bien la mienne, ce qui rendait malgré tout l’humiliation encore plus forte. Tous les jours, je voyais ma mère s’échiner au travail sans jamais se plaindre. C’est à cette époque que j’ai découvert un jeu amusant. Chargé de ramasser le bois, j’avais mis la main sur une branche fine, solide, en bois vert. Je lui trouvais rapidement une utilité ludique, celle de frapper ma mère avec. Les premières fois, elle tenta bien de se révolter mais en pure perte. Le maître de maison, Julius Caessius, me surprit un jour, exigeant que je donne une raison valable à un tel comportement. Quelle ne fut pas sa surprise quand je l’affranchissais de la raison qui me poussait à corriger ma garce de génitrice. Si elle pensait obtenir de l’aide de sa part, elle déchanta rapidement. Julius prit rapidement l’habitude d’en user selon ses envies, me laissant ensuite la battre jusqu’au sang.
Pour l’enfant que j’étais, qui avait connu la liberté avant la servitude, il était impossible que les choses demeurent ainsi. Et, ce n’est pas parce que ma mère me répétait tous les jours que je resterais esclave que j’allais la croire. Je voulais devenir quelqu’un. Hors, n’étant plus romain à proprement parlé, il me fallait trouver comment parvenir à inverser la courbe de ma toute jeune existence. La seule personne de mon entourage qui pouvait réellement m’aider, c’était Julius. Hors, s’il appréciait baiser ma mère de temps à autre, je savais pourtant qu’il n’en ferait rien. Quatre longues années passèrent ainsi, renforçant ma volonté, avant que j’entrevois une porte ouverte. Rien de transcendant malgré tout, mais je parvins, non sans peine, à le suivre à la chasse. À cette époque, cette distraction n’était réservée qu’à ceux qui comptaient. Ce qui n’était pas mon cas. Pourtant, soucieux de profiter de cette ouverture, je me révélais excellent chasseur, parvenant même à tuer une biche, ce qui m’apporta un minimum de considération de la part de Julius. La partie était loin d’être gagnée pour autant. Il ne ratait jamais une occasion de me corriger, chose dont je le remercie aujourd’hui. Si je suis devenu celui que je suis, c’est bien parce qu’il m’a enseigné que rien ne vient si on ne se donne pas la peine de l’obtenir. Peu à peu, j’apprenais à feinter, à ne pas me faire prendre aussi. Ce qui développa mon talent de stratège militaire bien avant l’heure.
Cette époque fut aussi celle où je commençais à m’intéresser au sexe faible. Adolescent, je contrôlais mal mes pulsions, incapable de m’en débarrasser ou de les satisfaire. Pas même avec l’une des amies du fil de maison. Il ne s’agissait de toute façon que d’un simple flirt sans plus, la demoiselle étant soucieuse de sa réputation. Une vraie catin plutôt qui me laissait sur ma faim un peu plus chaque fois. Je faisais pourtant tout pour lui plaire, pour réussir à la mettre dans ma couche, m’entraînant, musclant mon corps, mais rien n’y faisait. Cherchant ailleurs ce que je n’obtenais pas avec elle, je n’eus pas plus de succès. Après tout, je n’étais qu’un esclave aux yeux de ces garces de femelles ! Et après, on s’étonne que je considère la gente féminine comme un poison qu’il faut savoir dresser convenablement ! Mes efforts finirent par payer, mais pas comme je l’avais espéré. En fait, ce fut encore mieux que tout ce à quoi j’avais pu songer. La femme de Julius, Diane, avait un faible pour les jeunes hommes pubères. Le tout en cachette de son mari évidemment pour éviter de se faire répudier, voir même tuer. J’ai bien tenté de dire non, mais à dix-sept ans, la chose était impossible. D’elle, j’appris à disposer du corps d’une femme selon mes envies, apprivoisant l’inconnu rapidement. Trop sans doute puisqu’elle se lassa rapidement de moi, me congédiant avant de jeter son dévolu sur un autre. Qu’importe, j’avais eu ce que je voulais. A partir de là, je collectionnais les conquêtes à un rythme effréné, sans me soucier du reste. Ma soif grandissait à mesure que les femelles passaient dans ma couche, ou ailleurs selon le lieu où je me trouvais. Je tenais enfin une partie de ma revanche sur la vie.
C’était sans compter sur Diane qui finit par me faire une scène, ne supportant pas que j’aille trouver chez d’autres ce qu’elle me refusait. La réalité venait de me rattraper et je détestais cela. La menaçant de tout révéler à son mari si elle s’obstinait, je venais d’obtenir la victoire quand son fils s’en mêla. Mais quel crétin celui-là ! Oisif, gros comme un porcelet, voilà qu’il voulait me dénoncer. Je ne lui en donnais pas le temps, notre affrontement vu sa chute et une mort la nuque brisée. Le tout sous les yeux de sa mère qui n’osa pas piper un mot quand son cher mari arriva pour constater le décès de son fils unique. La douleur ravagea Julius sous mon regard indifférent. Ce qui aurait dû me valoir la mort m’apporta la liberté, ainsi qu’un père adoptif. J’allais enfin pouvoir profiter de sa place de sénateur. Ma mère se réjouissait pour moi, mais surtout parce que, quelques semaines plus tard, je quittais la demeure de Julius pour intégrer l’armée romaine, le tout après une instruction intensive qui allait m’éviter les basses besognes dévolues au simple soldait. La nuit précédant mon départ, je traînais ma mère dans les bas-fonds de Rome, la livrant à des charognes sans le moindre scrupule. Si mon ascension était en route, je voulais la voir chuter encore plus bas. Je me repaissais du spectacle de ses hurlements pendant que les hommes la violèrent avec sauvagerie. Au petit matin, après l’avoir ramenée, je racontais à Julius que je l’avais trouvée après des heures de recherche à se livrer à la fornication. De ce jour, le maître de maison ne passa pas une journée sans la battre pour la corriger. Je quittais la maison, mais je ne voulais pas qu’elle perde ses bonnes habitudes pour autant. Vous voyez quel fils prévenant j’étais à son encontre.
Ayant été affranchi par Julius, les portes de l’armée romaine me furent ouvertes. Pas en tant que simple troufion par contre, mais en tant que futur officier. La place de sénateur de mon père adoptif me destinait tout naturellement à commander les hommes. Je découvrais un monde inconnu, régi par des règles nombreuses où chacun avait sa place. De mon passage, j’en ai gardé cette habitude de la hiérarchie bien définie afin que nul ne puisse dire qu’il ne savait pas. Nous n’étions pas en guerre cependant. Hadrien contrôlait l’empire romain d’une main de fer. Je ne tardais pas à le regretter d’ailleurs, cherchant à monter encore plus dans la société par le biais de faits de guerre. C’est à cette époque que je commençais à me faire la main sur mes premiers complots. Rien de grandiose, mais assez bien ficelé pour donner l’envie à quelques autochtones de se rebeller. Si je plantais la graine de la rébellion, je veillais surtout à ne rien faire de plus. Ne me fiant que sur mes capacités, je gagnais rapidement quelques batailles notables, au point que mes exploits furent rapportés à Julius. Il se montrait fier de son fil adoptif. Ce qui commença à déplaire de plus en plus à Diane. Elle ne tarda pas à se montrer trop menaçante pour que je ne lui règle pas son compte une bonne fois pour toutes. Je me servis de la seule faiblesse que je connaissais chez elle, les jeunes hommes. Le reste se fit tout seul ou presque. Julius la surprit au lit avec l’un des soldats de ma garnison. La suite fut un véritable délice à observer. Non seulement, il tua l’impudent, mais sa femme aussi. Je l’aidais à dissimuler les corps, disposant désormais d’un moyen de pression sur mon père adoptif. Je prenais enfin l’ascendant sur lui ! Je fêtais dignement ma victoire, en restant aussi impassible qu’à mon habitude, ne montrant pas ma satisfaction de le tenir enfin sous ma coupe.
Sur les conseils de Julius, je me décidais à me marier arrivé à l’âge de 25 ans. Peu désireux de me satisfaire d’une seule femme dans ma couche, mon choix se porta sur celle qui m’avait refusé son corps durant mon adolescence. Je n’étais plus l’esclave qu’elle avait connu. J’en fis la mienne, me révélant un mari brutal et violent dès la proclamation de notre mariage. Rapidement, elle se mit à espérer que je ne revienne pas de l’une de mes campagnes en territoire étranger. Je ne me gênais cependant pas pour profiter des plaisirs de la chair auprès d’autre que ma femme. Je moquais bien de la religion, du sacré de notre union. Je prenais celles qui me plaisaient avant de les abandonner les unes après les autres sans le moindre remord. Le fantôme de Diane vint perturber ma sérénité un bref instant. Certaines de ses connaissances commençaient à poser des questions liées à son absence. Julius régla l’affaire sans perdre de temps, justifiant son départ sous le prétexte d’une visite à sa famille restée en Grèce. À mesure que le temps passait, je montais les grades un à un, patiemment, sans jamais faillir à ma tâche. Je me montrais de plus en plus impitoyable envers les ennemis de l’empire, n’hésitant plus à réprimer des embryons de révolte dans un bain de sang. Chacun de mes déplacements me permettaient de m’instruire un peu plus. Je notais tout ce qui me semblait important, me constituant une documentation conséquente sur les us et coutumes des pays asservis. Je veillais à noter le moindre détail susceptible de me servir par la suite. C’est ainsi que je commençais à affiner ma méthode pour collecter les renseignements sur mes ennemis.
Deux après mon mariage, ma mère mourut. J’aurais du en être attristé, mais il n’en fut rien. Cela faisait longtemps que je ne lui accordais plus la moindre attention. En fait, j’étais bien plus contrarié par le fait qu’elle n’assisterait pas à la suite de mon ascension. Ce qui, d’une certaine façon, me mina tout de même le moral. Une chance pour moi, mon épouse se décida enfin à me donner un héritier, qui se révéla une héritière à l’arrivée. Même pas foutue de me faire un fils ! Eris, ainsi la nommais-je, naquit l’année de mes 28 ans. C’est à cette même époque que Julius décida qu’il était temps pour moi de revenir à ses côtés pour poursuivre mon éducation. Bien que cela signifiait que j’allais encore monter dans l’échelle sociale, l’idée même de ne devoir me contenter que de ma femme me filait de l’urticaire. Je fis contre mauvaise fortune bon cœur et commença mon nouvel apprentissage avec une volonté de fer.
Je n’étais pas réellement préparé à ce que je devais affronter. Le monde de la politique était bien plus cruel et dangereux que celui de la guerre. Il me fallut quelques semaines pour trouver mes marques et parvenir à nager dans ce panier de crabes. Aux côtés de Julius, je continuais donc mon ascension. Ce qui me valut nombre de tentatives d’assassinat qui échouèrent toutes sans exception. La dernière vit la mort de Julius. Il avait fait son temps, je me sentais prêt à voler de mes propres ailes de toute façon. Mon envol fut court. Une nuit, je croisais une femme lors de ma recherche de plaisirs charnels. Je ne la connaissais pas, mais elle me connaissait. Je n’ai rien vu venir, trop ivre, trop obnubilé par sa beauté, pas sa grâce aussi. Sa morsure ne me donna pas la moindre chance du fuite. J’avais beau me débattre, elle était bien plus forte que moi. Quand elle plaque son poignet ensanglanté contre mes lèvres, je cessais de réfléchir pour m’abreuver. Ma vie quittait mon corps que je tenais vainement de remplir. La nuit finit par s’emparer de moi. J’étais mort.
L’apprentissage de l’immortalité (162-840)
Comme tous mes contemporains, j’étais persuadé qu’une fois mort, on le restait. Hormis pour le Christ, mais ça, c’est une autre histoire. J’allais rapidement apprendre à mes dépens combien je m’étais fourvoyé sur le sujet. Mon réveil fut destructeur sur bien des points. Je me suis levé en un seul bond. Aucune lumière sauf celle d’une torche minuscule et pourtant, je voyais comme en plein jour. J’entendais tout et surtout les battements des cœurs de ceux qui se trouvaient non loin. Tous sauf les miens. Sous la douleur, je me tordais au sol, les entrailles en fusion. Je suis certain qu’aller plonger dans un bain de lave n’aurait pas été aussi douloureux. La porte en bois ne résista pas au coup que je lui donnais. Elle alla heurter le mur derrière elle, à quelques mètres de là. Je n’en revenais pas. J’entrais dans une seconde pièce. Cinq esclaves s’y trouvaient. Et toujours cette mélodie entêtante qui devait cesser. Je n’ai pas réfléchi. Un à un, je les ai saignés jusqu’à qu’il ne reste pas la moindre goutte de sang dans leurs corps. J’étais ivre, mon esprit se révoltait contre ce que je faisais. J’avais l’impression que rien ne pouvait étancher ma soif. Je restais à genoux, couvert de sang, à regarder les cadavres qui m’entouraient. C’est à ce moment précis que ma Créatrice fit son apparition. Sans ciller, elle m’expliqua ce que j’étais devenu. Vampire, immortel, créature de la nuit, prédateur sanguinaire. Autant de qualificatifs qui m’ouvraient un Destin que je n’aurais jamais envisagé. J’allais pouvoir marquer l’histoire de mon empreinte au-delà de toutes mes espérances.
L’accès au sénat devenait brutalement insignifiant. Avec la mort de Julius, de toute façon, je savais que la tâche serait ardue. Son remplaçant ne m’appréciait guère et il ne tarda pas à passer à l’attaque. Je m’en moquais ouvertement. Seulement voilà, il restait ma femme et ma fille que j’entendais protéger malgré tout. Ma Créatrice eut l’idée d’orchestrer ma mort, ainsi que mes funérailles. Elles furent somptueuses d’ailleurs. Victorius Caessius, né Villecius, appartenait désormais au passé et à l’histoire de l’empire romain. Il était temps pour moi de prendre un nouvel envol, de découvrir un terrain de jeux sans limite. Avant de quitter Rome, je pris soin de me venger de tous ceux qui m’avaient un jour porté préjudice. À mesure que je satisfaisais ma vengeance, mon humanité disparaissait. Je découvrais que les sentiments humains n’étaient finalement que de vulgaires marques de faiblesse, des excuses à la couardise des mortels. Que les plus forts s’en servaient pour asservir les plus faibles. Des animaux, voilà ce qu’ils étaient et ce qu’ils sont toujours. Rien d’autre, tout juste bon à me servir de nourriture. Quand je réalisais le nombre d’inepties qu’il m’avait fallu apprendre pour m’élever dans la société (religion entre autre chose et principalement), j’entrais dans une rage au point qu’il me fallut plusieurs jours pour parvenir à me calmer. Nous restâmes une dizaine d’années dans la région de Rome avant que ma Créatrice ne décide qu’il était temps pour nous de prendre la route. J’étais mort à 31 ans. Physiquement, j’avais toujours cet âge. C’est à ce moment-là que je compris que mon immortalité était un secret qu’il me fallait conserver à tout prix. Depuis ce jour, je m’y emploie avec férocité.
Nous partîmes vers le nord, vers la Gaule. Il y a avait au moins une chose dans cette contrée qui était particulièrement utile : les tombeaux païens. Ils nous offraient un refuge parfait en journée, nous protégeant des rayons du soleil de façon efficace. Je profitais pleinement de ma nouvelle condition. Tout était merveilleux, plus intense aussi. Le moindre son, la moindre variation de température, je percevais tout sans la moindre exception. Même nos ébats avaient pris une ampleur que nul ne peut envisager. Ma créatrice m’ouvrait peu à peu les portes d’un monde fait de plaisirs inédits pour certains, jouissifs pour d’autres. Chaque nuit qui passait me rendait de plus en plus attiré par cette noirceur qui brûlait en elle. À ses côtés, je vécus la chute de l’Empire Romain et l’avènement des Francs, la Gaulle prenant un nouvel essor après l’intronisation de Clovis. Les humains semblaient enfin avoir pris la décision d’évoluer un peu. Ils commencèrent à construire des demeures à la hauteur de leur ambition, des châteaux. Ces derniers nous offrirent rapidement un refuge idyllque, des endroits sous-terre où nous pouvions enfin nous installer de façon pérenne. De toute façon, personne n’allait s’inquiéter de la disparition d’une servante. Avec le gîte, nous avions le couvert et des divertissements de tout ordre. Nous n’avions besoin de rien d’autre à cette époque. Et cela me permit d’apprendre encore et encore, de parvenir à contrôler mes nouvelles capacités rapidement aussi. Même si, pour cela, il me fallut un bon siècle.
La vie était plutôt agréable à cette époque. L’homme n’en était qu’aux balbutiements de son évolution et il nous était facile de duper ceux qui nous hébergeaient bien involontairement. Sans compter que les souverains ne duraient guère longtemps à cette époque. Childebert II ne régna que durant deux années d’ailleurs. La majorité d’entre eux ne restait au pouvoir que durant une dizaine d’années, guère plus. Seuls Childebert Ier et Clotaire Ier parvinrent à tirer leurs épingles du jeu. Ce qui est peu vu le nombre impressionnant de souverains qui se succéda entre 481 et 751 dans ce pays en mutation permanente. Cette dynastie est celle connue comme celle des Mérovingiens. Les Rois Fainéants qui leur succédèrent durant une soixantaine d’années portaient leur nom à la perfection. Sous leur semblant de règne, ma Créatrice et moi nous en donnions à cœur-joie sans craindre la moindre intervention de la part des hommes. L’arrivée au pouvoir des Carolingiens marqua un tournant dans la vie de ce pays qui nous accueillait depuis de longues années déjà. Pépin Le Bref, le premier d’entre eux, travailla avec acharnement pour unifier tous les petits royaumes qui existaient pour n’en faire qu’un seul et unique. Il eut la brillante idée de s’allier à l’église pour légitimer son autorité et c’est ainsi qu’il fut sacré roi. À sa mort, son fils, Charlemagne, monta en toute légitimité sur le trône. Du moins en apparence car, dans l’ombre, nous attisions bon nombre de complots, nous jouant de certains humains pour créer des dissensions, détruisant peu à peu tout ce qui avait été construit à force de patience et de travail. Une fois lassés de ces petits jeux de dupes, nous décidions de reprendre la route. Notre halte avait assez duré.
C’est donc l’année 816 que je fus séparé de ma Créatrice pour la première fois depuis ma transformation en tant que vampire. En effet, j’avais décidé de retourner en Italie, alors qu’elle préféra le climat de la Grande-Bretagne. J’avais pour envie de savoir ce qu’il était advenu de ma descendance. Après tout, j’avais laissé une femme et une fille à mon départ de Rome. Ma condition me permettant de voyager à ma guise, je gagnais rapidement la vieille cité antique. Je déchantais rapidement. Impossible de savoir si j’avais une quelconque descendance par manque d’informations précises. Tout juste parvins-je à apprendre que ma fille était morte à ses dix-huit ans. Autant dire que je pouvais certainement faire une croix sur une descendance quelconque. Quelque chose me marqua malgré tout lors de mon retour dans ma cité. Le comportement des chrétiens étaient à vomir. Sans le moindre scrupule, ils reproduisaient ce qui leur avait été infligé durant des années, persécutant, exécutant tous ceux qui osaient se dresser en travers de leur route. L’Église se croyait toute puissante, que nul ne se trouvait au-dessus d’elle. Je m’en amusais ouvertement. Au point que je pris la décision de me mêler d’un peu plus près de tout cela. Je commençais donc par étudier un peu plus la religion qui était mienne à l’origine de ma vie de mortel, notant rapidement avec quelle ferveur les mortels s’étaient tournés vers ceux qui leur promettaient monts et merveilles tout en s’enrichissant par les dons imposés aux fidèles. Parce que oui, qui veut de l’argent commence par se rendre indispensable à la communauté. Simple mais particulièrement efficace à une époque où les hommes ne disposaient pas encore des connaissances pour tout expliquer.
Je décidais donc d’aller faire quelques prélèvements à la source du christianisme, en terre sainte. Pour cela, je pris la route en direction de la Turquie, anciennement l’empire ottoman. Je n’eus aucun mal à m’insérer, maîtrisant la langue suite à diverses campagnes de pacification sous l’empire romain dirigé par Hadrien. Il me restait tout de même à trouver une bonne excuse pour ne jamais sortir de chez moi en journée. J’usais d’un stratagène ingénieux qui me valut autant de respect que d’admiration de la part de mes voisins les plus proches. Officiellement, je priais le prophète Mahomet toute la journée, sans boire, ni manger, ni même recevoir quiconque. Cette religion valait celle des chrétiens, aussi inutile à mes yeux que la première. La seule chose qu’elles avaient en commun, c’était les trésors amassés par leurs dirigeants. Vous cherchez un trésor, une relique ? Ce n’est pas la peine, l’objet en question est certainement jalousement gardé dans ma salle privée. Où se trouve-t-elle ? Je doute que vous puissiez la trouver un jour. En attendant, je ne rechignais pas à la dépense pour satisfaire cette envie. Je finançais quelques croisades pour m’emparer des biens les plus précieux, participant à certains combats à l’occasion. Suite à cela, j’entrepris de parcourir la terre dans son intégralité, découvrant, bien avant les hommes, avant Galilée même, qu’elle était ronde. Durant mes voyages, je prenais ce qui me faisait envie, amassait encore d’autres trésors tout aussi jalousement gardés que les tous premiers.
La conquête du Pouvoir, l’avènement du Roi (840-1853)
S’il est une chose que j’ai particulièrement appréciée en fréquentant ce peuple, c’était bien la place de la femme au sein de leur communauté. Aucun droit sauf celui de servir. Mes richesses personnelles me permirent de faire quelques mariages d’affaires, m’apportant encore un peu plus d’argent et beaucoup d’or surtout. C’était une valeur sure, ça l’est toujours à notre époque. Je me devais malgré tout de rester prudent pour ne pas attirer l’attention sur les « morts rapides » de mes épouses. Parce qu’en plus, il était même permis d’en avoir plusieurs. C’est en Turquie que je créais ma première ménagerie humaine, ce qui me facilitait grandement la vie. Je pouvais boire à satiété, quand je le désirais, sans avoir à chasser avant. Dans ces pays chauds où le soleil brille toute l’année, et où les nuits sont assez courtes, cette facilité n’avait rien de surfaite. Je passais donc une bonne centaine d’années à amasser des richesses, à piller les lieux saints, à changer régulièrement de lieu de vie aussi. Ne vieillissant pas, je ne voulais en aucun cas attirer l’attention sur moi. Je parcourais ainsi l’ensemble de la Palestine et de ses pays avoisinants les plus proches. Avant me mettre le cap sur une nouvelle terre, immense, plus vaste que toutes celles que j’avais jusqu’alors explorées, une terre faite de multitude de petits royaumes qui se livraient à une guerre permanente, la future Russie.
La Principauté de Kiev en était à ses balbutiements. Fondée par les Vikings, c’est sous la coupe de la dynastie des Riourikides qu’elle se développa vraiment. Ses accords commerciaux avec l’Empire Byzantin m’offrirent une nouvelle source de richesses que je ne me gênais pas de développer à son maximum. Malgré tout, la région demeurait trop instable politiquement pour que les accords perdurent dans le temps. À cette époque, j’affinais mes capacités de diplomate, d’homme d’affaires, naviguant le plus souvent en eaux troubles pour parvenir à mes fins. Je découvris une nouvelle religion, le christianisme orthodoxe qui, comme les autres, me permit de poursuivre ma quête d’objets sacrés. Ne pouvant m’installer de façon définitive sur cette terre, j’en profitais durant plus de deux siècles malgré tout, quittant cette contrée durant l’année 1157 pour aller vers l’Ouest, vers ma terre natale. Je n’avais pas achevé ma vengeance dans son intégralité. Il restait encore des descendants parmi ceux qui m’avaient humilié durant ma vie humaine, qui m’avaient écarté du pouvoir simplement parce que Julius Caessius avait été assassiné. C’est donc d’excellente humeur que je pris la route, laissant derrière moi de nombreuses scènes de massacres en tout genre.
Mon retour dans ma ville natale commença par une petite visite au Colisée. J’y trouvais un peu d’occupation avant de me mettre sérieusement au travail. Durant des semaines, j’éliminais systématiquement des familles entièrement, faisant sombrer dans l’oubli des
« dynasties » entières sans le moindre remords. Je m’amusais même comme un gamin. J’en profitais pour acquérir la demeure familiale, estimant qu’elle ne pouvait appartenir à un autre que moi. Ce qui est toujours le cas aujourd’hui. Cette villa demeure l’un des derniers vestiges de la grande époque de Rome. À l’occasion, il m’arrivait de croiser l’un des miens. Mais aucun n’arrivait à la cheville de ma Créatrice. Parfois, sa présence me manquait. Je profitais de mon installation en Italie pour tenter de retrouver sa trace, sans le moindre résultat durant des décennies. C’était devenu une véritable obsession, je voulais savoir ce qu’elle était devenue, si elle avait eu un autre infant que moi. Cette simple idée avait le don de me mettre dans une colère noire que j’assouvissais dans le sang. J’avais fini par renoncer et par reprendre mon existence habituel quand le monde des mortels se mit subitement en mouvement. J’ignorais encore à quel point cela allait avoir une influence sur mon propre avenir. Les mortels n’étant que des animaux se prétendant supérieurs aux autres, je me lassais rapidement d’eux. Pillages, affaires, carnages, mes habitudes ne tardèrent pas à me rattraper, m’offrant une vie des plus agréables malgré tout. Je regrettais malgré tout une chose, la difficulté pour moi de disposer d’une ménagerie digne de ce nom.
Ma vie aurait pu demeurer ainsi si mes pas n’avaient pas croisés ceux de ma Créatrice au détour d’une rue de Vienne. Durant mes pérégrinations diverses, je n’avais guère côtoyé mes semblables, n’y trouvant guère d’intérêt. Sans compter que la discrétion imposée faisait que nous passions inaperçus aux yeux les uns des autres. Le retour de ma Créatrice annonçait une période sombre pour certains êtres hors du commun. Elle m’affranchit rapidement de l’existence d’autres races que la mienne, m’expliquant dans le même temps que les catholiques, toujours eux, alliés aux protestants avaient lancé une véritable chasse aux sorcières. Je découvrais qu’une partie de mes lectures concernant les croyances populaires de certains peuples étaient bel et bien réelles. Les circonstances étaient telles qu’une réunion avait été décidée, en France, dans une grotte que les mortels nommeraient dans l’avenir la Grotte de Lascaux. Il faut dire que les humains ont mis du temps à se décider à explorer leur vaste monde. En sa compagnie, nous quittâmes l’Autriche pour nous y rendre.
C’était la première fois que je me retrouvais confronté à mes semblables en si grand nombre. Et encore, de ce que je compris rapidement, tous n’étaient pas présents. Mais, un vampire attirait toute l’attention à lui. Ma Créatrice m’expliqua qu’il s’agissait du Roi et que tous lui devaient obéissance. Je conclus rapidement qu’il n’en serait pas de même me concernant. De roi, il n’avait que le titre. Ce vampire était un pleutre qui n’indiquait qu’une seule et unique chose : se cacher des humains. Comme si nous avions à craindre les mortels et leurs faiblesses ! Durant la réunion, j’appris également qu’il existait de nombreux rois vampires à travers la planète, comme autant de petits seigneurs veillant sur leurs domaines. Aucun ne semblait avoir eu l’idée de regrouper les vampires en une seule et unique nation. Je décidais que je serais donc CELUI qui le ferait. J’avais désormais un but à atteindre et je ne comptais pas m’arrêter avant d’y être parvenu. La tâche s’annonçait rude, difficile, délicate même. Mais ce n’est pas ce qui allait m’arrêter. Je devais gagner des soutiens, nouer des alliances aussi. Tout cela, je l’avais appris durant ma vie de mortel. Il ne me restait plus qu’à mettre en application tout ce que je savais en m’armant de patience. En attendant, il me fallait faire profil bas pour ne pas attirer l’attention de ce roi-pantin. Sa seule décision fut de nous contraindre à l’exil. Nous étions condamnés à fuir devant les humains, uniquement parce qu’il en avait décidé ainsi. Le temps pour moi de mettre mes affaires en ordre, de m’assurer que mes biens les plus précieux étaient hors de portée de tous et j’embarquais à La Rochelle sur un navire m’appartenant. Sauf qu’aucun membre de l’équipage n’était au courant de ma présence. J’avais opté pour la discrétion. Une immense caisse contenant mon cercueil avait été embarquée à la nuit tombée, le jour précédant notre départ.
1526 fut l’année de mon arrivée dans mon futur royaume. J’avais faim à mon réveil. Une chance pour moi, j’avais mon équipage à disposition. La nuit fut magnifiquement ensanglantée. A peine arrivés, ma Créatrice m’entraîna à sa suite pour rencontrer un homme du nom de Lucas Vallez de Ayllon, espagnol de son état. En Caroline du Sud, ce pays avait le contrôle. De nouveau ensemble, j’apprenais à nouveau aux côtés de celle qui m’avait enfanté. Et ce pour mon plus grand plaisir. Le campement de base établi, il nous fallut gérer le fait que nous ne sortions pas en journée. Pour cela, nous aménagions quelques galeries de fortune, prétextant qu’elles pourraient servir de refuges en cas d’attaque puisque invisibles pour qui n’en connaissait pas l’entrée. Une chance pour moi, la cohabitation ne dura pas plus de quelques mois. Les humains pensaient le campement hanté à cause de tous les phénomènes étranges qui s’y déroulaient. Nous profitions tranquillement de notre nouvelle existence quand l’attaque eut lieu. Trois autres vampires s’étaient joints à nous quelques nuits plus tôt. Pour la première fois de mon existence, je me retrouvais face à des loups-garous. Le combat fut acharné, violent. Il y eu des pertes des deux côtés. Une seule me toucha, celle de ma Créatrice. Ma colère, ainsi que la promesse de la venger, me permirent de rester debout. Je ne m’attardais pas pour autant, allant plus à le nord pour rejoindre une autre confrérie. C’est ainsi que je posais une nouvelle fois mes bagages, en 1605, dans l’état de Virginie. Je fis rapidement ma place au sein de cette dernière, m’intéressant de près au projet colonial à l’étude. Officiellement, nous devions faire un maximum d’argent pour pouvoir nous installer de façon durable sur cette nouvelle terre. Officieusement, je ne tardais pas à m’affranchir de tout cela pour faire fructifier ma fortune personnelle, commençant à faire des allers-retours réguliers entre l’Angleterre et la Virginie. S’il m’arrivait de charger des cargaisons d’esclaves, je leur préférais le sucre. Mes principaux contacts se trouvaient dans la ville de Cardiff que je me plaisais à explorer à chacun de mes voyages.
La faim m’avait poussé à quitter mon hôtel durant l’un de mes séjours à Cardiff. Nous étions en hiver, la nuit était sombre et je commençais à désespérer de trouver un repas à mon goût lorsque je l’aperçus. L’homme était étendu sur le sol, visiblement en hypothermie. Mais aussi aux portes de la mort. Je pouvais la voir l’étreindre entre ses bras telle une amante attentionnée. Malgré tout, dans ses iris verts brillait une intelligence peu commune. Celle des grands hommes, si pure, si rare aussi. Je me fis un malin plaisir à subtiliser son dû à la mort, me délectant de son sang, me réjouissant de voir un autre que moi endurer les souffrances par lesquelles j’étais passées voilà plus d’un millénaire déjà. Drustan, ma création, celui dont je comptais faire mon bras droit, mon allié le plus proche, dans ma quête du pouvoir. Force me fut de constater que je ne m’étais nullement trompé. Drustan était de ces hommes faits pour dominer le monde, pour prendre une part active à l’évolution de la race des vampires. Ses premiers jours furent douloureux, je ne pouvais que m’en réjouir. J’étudiais enfin ce que j’avais subi moi-même voilà fort longtemps. Une fois assuré qu’il se trouvait en état de voyager, j’entrepris de l’instruire comme je l’avais été. Notre périple commença par la France, pays que je connaissais bien. J’imposais à mon infant de ne jamais rien laisser au hasard, lui enseignant la langue, lui apprenant comment dissimuler notre nature aux humains. Il se révéla un élève brillant, avide de savoir, jamais rassasié de nouvelles connaissances. Chaque nuit qui passait me confortait dans ma décision de l’avoir subtilisé aux bras de la mort. Et lui aussi. Je le formatais à mon image, à ma vision de l’art de la guerre, à porter ma vision des choses, à la défendre aussi, à parler en mon nom. En somme, à devenir une extension parfaite de ce que j’étais.
Le monde nous servait de terrain de jeux. Je profitais de mon passage en France pour récupérer mes trésors farouchement protégés avant de me laisser aller à un commerce d’objets rares. Pour mener mon projet à terme, il me fallait de l’argent, une fortune colossale que peu pouvaient se vanter de posséder. Entre tueries, pillages et commerce, le temps passait sans que nous ne le réalisions réellement. Drustan prenait de l’assurance à mesure que le temps s’écoulait. J’en arrivais même à lui confier de plus en plus de missions délicates, testant ses progrès à chaque fois. Le Vieux Continent n’eut bientôt plus le moindre secret pour nous. Lassés, toujours à la recherche de nouvelles choses, nous embarquions à nouveau pour rentrer sur le sol américain en 1690. Toujours décidé à prendre le pouvoir, je tentais une nouveauté, une alliance avec les sorcières résidant dans la ville de Salem, dans l’état du Massachusetts. Devant leur refus de coopérer avec moi, ne supportant pas que l’on s’oppose à mes plans, je déclenchais une véritable chasse à leur encontre, encore connu de nos jours et qui fait la joie des férus de légendes urbaines de tout poil. Je fis en sorte que personne ne parvienne à faire le lien avec moi malgré tout. L’année 1692 fut un excellent crû concernant cette engeance dont le nombre diminua drastiquement sous mon impulsion. À l’avenir, elles réfléchiraient à deux fois avec d’oser seulement songer à me refuser quoi que ce soit.
Personne ne peut se mettre en travers de ma route, personne ! J’ai donc œuvré pour m’assurer de la coopération des survivantes, en vain ! Je les ai abandonnées à leur funeste sort. Femelles frigides et pathétiques, c’est tout ce qu’elles méritaient. Qu’importe, je n’en pouvais plus d’attendre. Le roi Xenios s’était exilé en Angleterre. Ce froussard allait vite comprendre qu’il avait commis une erreur. Aidé de Drustan, nous commençâmes un travail de longue haleine visant à le priver de la moindre de ses ressources sur le sol américain. Je pensais honnêtement rencontrer plus de résistance cependant. Il n’en fut rien. Lui, je ne l’ai pas vu venir. Stuart, un vampire sans envergure, brigua le trône et l’obtint à l’aide de solides alliances. Ce qui me rendit fou de rage. Alors, je reprenais mon travail, éliminant mes détracteurs les uns après les autres, méthodiquement, patiemment, dans le plus grand secret. J’attendis que ce pseudo-roi se retrouva isolé pour attaquer de front. Le combat fut digne de toutes mes années de frustration. Avec Drustan à mes côtés, je parvins à tuer Stuart, gagnant dans le même temps la reconnaissance de mes pairs. Il ne me restait plus qu’à asseoir ma suprématie sur eux quand Xenios décida qu’il était temps pour lui de rentrer à la maison. Il en fut pour ses frais et mourut de ma main durant une bataille plus rude que celle que j’avais dû mener contre Stuart. En 1853, je devins le Roi des vampires, sur le sol américain uniquement malheureusement. Qu’importe, j’avais enfin tout ce que j’avais convoité : gloire et respect.
Un Empire à diriger (1853 jusqu’à aujourd’hui)
Ayant atteint mon but, je m’employais, dans un premier temps, à rassembler l’ensemble des vampires, les obligeant à me porter allégeance, exécutant, enfin Drustan surtout, ceux qui refusaient de s’y soumettre. C’est à cette époque que je fis la connaissance de Seth Lawtan, chasseur de primes et démon. De cette seule et unique rencontre est né un partenariat fructueux autant pou moi, ce qui reste le plus important, que pour lui. Il s’occupa de quelques affaires délicates alors que je m’installais dans la ville de Las Vegas. Ses lois libérales en matière de jeux m’incitèrent à y construire un casino : le Red Money. Seulement, il m’en fallait toujours plus. Je voulais voir mon empire s’étendre au-delà des frontières américaines. C’est ainsi que je repris la route, toujours accompagné par mon fidèle Drustan, menant de nombreuses expéditions contre les autres royaumes. Arrivé en Océanie, je me heurtais à un souci de taille, Aaron Dahmer, le roi en place. Mes envies de vélléités à son égard partirent en fumée lorsque je découvris qu’il disposait de la possibilité de marcher en plein jour, qu’il s’était affranchi de notre malédiction commune. Je décidais qu’il devait en être de même pour mon auguste personne. J’ai donc rongé mon frein une nouvelle fois, cherchant à plaire à ce vampire afin qu’il m’affranchisse sur la chose. Malheureusement, Dahmer est un coriace qui me fait toujours languir à ce propos. Je finirais bien par obtenir satisfaction, j’obtiens
TOUJOURS satisfaction.
Parfois, une visite protocolaire parvenait à me distraire de mon quotidien. Ce fut le cas durant l’année 1934 lorqu’un vampire (dont je ne me souviens plus du nom) réussit à se faire inviter à l’une des nombreuses soirées que j’organisais. Après tout, il fallait aussi songer à satisfaire le petit peuple pour qu’il se tienne tranquille. Il eut l’excellente idée de se présenter accompagné d’une superbe créature. Sa beauté n’avait d’égal que ce curieux port altier qu’elle affichait. Elenna Varden, tel était son nom. Une toute jeune vampire venue avec son Créateur qui ne tarda pas à me faire une proposition pour le moins surprenante. Elle souhaitait que je lui rende sa liberté en échange de quoi, elle m’offrait ses services, ainsi que son héritage Britligan. J’aurais été fou de refuser ! La nuit même, elle entrait à mon service. Elenna s’occupait de mes affaires demandant un certain doigté, une apparence inoffensive aussi. En cela, elle était bien plus douée que Drustan. Mais, elle était bien plus qu’une mercenaire de confiance. J’en ai fait mon amante, ma maîtresse, celle qui m’accompagnait parfois lors de rendez-vous officiels aussi. Elenna allait et venait au gré de mes envies, de mes exigences aussi. Jamais, je n’ai renié ma parole de la laisser libre. Cela aurait nui à notre accord de toute façon. Début des années 2000, j’ai malheureusement perdu sa trace. Oh bien sur, je sais ce qu’il est advenu d’elle à l’époque. Aaron Dahmer, encore lui, avait mis la main dessus et, sans doute lui a-t-il offert une chose que je ne peux. Qu’importe, je sais que nos routes finiront par se recroiser un jour. Mais voilà que je m’égare et que je brûle les étapes. Reprenons donc le cours de mon histoire.
Et puis, il y a eu ce séjour en Russie, là où tout a basculé. 1936, une année marquée à jamais dans mon esprit, celle de ma rencontre avec ma petite louve. Drustan était tombé sur elle, avait des vues sur elle aussi. Seulement voilà, sa beauté, son innocence, son charme, me firent vaciller. Elle n’avait rien de commun avec les filles de bordel dont j’usais en temps ordinaire. Non, bien qu’humaine, elle avait un petit plus qui fit que je décidais de la faire mienne. Drustan s’effaça devant son roi comme il se devait de le faire. La seule chose que j’ignorais encore, c’était que Shaneah, la petite que je convoitais, avait un frère loup-garou. Alors que j’avais réussi à gagner la confiance de la belle, il osa la transformer pour me priver de la satisfaction d’en faire ma nouvelle infante. Grand bien lui en a pris ! Me dire non est une chose qu’il vaut mieux ne même pas envisager. Ma fureur se déversa sur le petit village qu’elle habitait. Méthodiquement, implacablement, je tuais tous les habitants : hommes, enfants, vieillards, femmes. J’ai assouvi ma soif, les vidant de leur sang, dansant sur leurs cadavres encore chauds, les brûlant ensuite. Et, elle a fini par venir à moi. De son plein gré et je l’ai faite mienne dans la douleur avant de l’emmener dans mes bagages. Patiemment, je l’ai façonnée, la nommant Thémis, déesse de la justice, de
MA justice. Je l’ai brisée, torturée, aimée aussi d’une certaine façon, faisant d’elle une créature sanguinaire, magnifique, cruelle. Une servante à mon image, dévouée, fidèle. Et il en a été ainsi durant près de soixante-dix longues années. Elle a fui, aidée par l’une de mes vampires les plus proches, Selena, et sans doute de Drustan bien que je ne puisse le prouver. Thémis avait tout, elle va comprendre qu’elle a laissé passer sa chance. Je vais lui faire regretter cet affront et sa désobéissance sera sévèrement punie.
J’ai lancé mes meilleurs limiers sur ses traces. Sans grand succès au départ. Après tout, Thémis est mon œuvre, ma Création. Je lui ai appris tout ce que je savais. Finalement, elle m’a été signalée dans une petite bourgade du Montana, Aspen Creek, territoire de Bran Cornick. J’ai donc décidé de m’y rendre aussi, autant pour affaires vu que ce loup compte révéler l’existence des siens aux mortels, que pour récupérer ce qui m’appartient. Malheureusement, les choses ne se sont pas exactement déroulées comme je l’avais prévu. J’ai commencé par rencontrer Cornick, lui expliquant ma position non négociable, me moquant bien de ce qu’il peut bien vouloir, et lui précisant aussi que Shaneah était mienne. Autant dire qu’il a été quelque peu contrarié. Ce qui était une excellente choses. Je constatais malgré tout qu’il n’allait pas être le seul à tenter de me contrarier. Aliénor, une vampire, semblait avoir décidé de passer outre la bienséance en s’en prenant ouvertement à Drustan. Elle en fut pour ses frais et apprit, à ses dépens, qu’il y a des limites qu’il vaut mieux éviter de franchir quand on tient à son immortalité. La seule bonne note de mon trop court séjour fut ma rencontre avec Chastel. Malheureusement, nous n’avons pas eu le temps de finaliser notre alliance. Je vais devoir me pencher de nouveau sérieusement sur le sujet une fois de retour. Quant à ma jolie louve, nos retrouvailles ont été plus que mitigées, même si elle m’a avoué ses sentiments à mon encontre. Ne pouvant m’attarder plus que de raison, nous avions prévu une autre rencontre. J’y tenais plus que tout, histoire de clarifier les choses, mais je n’ai guère eu le temps de m’occuper sérieusement de Thémis qu’il m’a fallu rentrer de toute urgence à Las Vegas pour tuer une prise de pouvoir dans l’œuf. En attendant, devoir laisser ma petite louve derrière moi m’a fortement contrarié. Voilà qu’elle s’est mise en tête de vivre parmi les siens. Histoire de l’occuper, et de bien lui faire comprendre qu’elle doit se trouver à mes côtés, je lui ai confié la direction des vampires sur place. Elle ne devrait pas avoir trop de mal à s’en sortir normalement. Il devient plus qu’urgent de lui rappeler ce qu’elle est et surtout à qui elle appartient. La révolte avortée et les instigateurs décimés, il est temps pour moi de retourner à Aspen.
À suivre…